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Tracer les épidémies dans l’espace méditerranéen à l’époque pré-bactériologique : expertise, gouvernement, démographie

Pariset, Etienne, Mazet, André, et Lasteyrie, Charles-Philibert de (imprimeur-lithographe), “Portrait d'homme souffrant de la fièvre jaune,”, extrait de Observations sur la fièvre jaune, faites à Cadix, en 1819, 1820, Audot (Paris) , Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, FOL-TD54-74, Gallica, ark:/12148/bpt6k1525771z

Journée d'études

Date(s) : du 17 novembre 2025 9 h 00 au 17 novembre 2025 16 h 30

Lieu : Maison méditerranéenne des sciences humaines et sociales, 5 rue du Château de l’Horloge, Aix-en-Provence

Organisateur(s) / trice(s) à TELEMMe :

Groupe(s) organisateur(s) :


PRÉSENTATION

Le bassin méditerranéen a toujours été un espace de circulation intense de personnes, de marchandises, d’idées et par conséquent, d’agents pathogènes. Dans ce contexte, le danger (réel ou imaginé, imminent ou lointain) représenté par la propagation des fléaux a contribué à la construction de rapports entre les rives de la mer intérieure. Il a marqué une étape clé dans la mise en place de dispositifs de contrôle des circulations humaines et matérielles ainsi que dans la construction de l’autorité à différentes échelles au sein de chaque formation territoriale. Ainsi, les épisodes épidémiques ont-ils été déterminants dans le façonnement des rapports entre savoirs, économies locales, populations et gouvernements.

Depuis des décennies, les épidémies représentent un objet historique complexe à la croisée de plusieurs approches historiographiques. L’une des premières a pris la forme de monographies thématiques témoignant qu’une approche globale a rarement été mise en œuvre sauf dans certains cas exceptionnels comme l’ouvrage monumental de Jean-Noël Biraben, Les hommes face à la peste. L’apport de la démographie historique a été décisif par le biais de l’examen des registres paroissiaux, les réflexions autour des évolutions des prix du grain et les pics d’inhumation. Cette démarche a abouti à la compilation de statistiques relatives aux variations démographiques sur la longue durée. Elle n’a pas échappé en même temps au risque d’expliquer les grandes ruptures de l’Histoire par l’évocation des épidémies, posture qui résiste mal  au constat selon lequel la majorité des sociétés sont capables de se rétablir rapidement à l’issue de ce type d’épreuves.

Dans le champ de l’histoire sociale de la santé, l’approche qui a prévalu est d’ordre majoritairement politico-juridique à travers l’étude des arsenaux législatifs et réglementaires. Dans le sillage des travaux de Michel Foucault, une partie de l’historiographie a analysé les épidémies du point de vue des autorités et de la mise en place d’un contrôle sur la vie des populations. L’attention s’est centrée également sur la généalogie de la notion de santé publique et sur les ressorts de l’État providence. Plus récemment, la réflexion sur ces thématiques s’est enrichie en adoptant une perspective à partir du bas, soit des malades. Grâce aux avancées de la médecine clinique et de la microbiologie, des experts comme Mirko D. Grmek ont revisité les épisodes épidémiques les plus marquants de l’Histoire pour détecter les différents agents pathogènes. Le même auteur a introduit le concept de pathocénose, défini comme l’ensemble des états pathologiques présents au sein d’une population donnée, dans une perspective d’analyse comparative des maladies tenant compte de leurs interactions. Ouvrant sur des collaborations interdisciplinaires fécondes, l’archéologie et ses sciences annexes ont permis des avancées majeures en éclairant les pathologies du passé par le biais par exemple de l’analyse de la pulpe dentaire. Depuis peu, de nouvelles approches ont émergé qui s’insèrent dans le sillage d’une histoire environnementale qui réfléchit aux rapports entre l’homme et son milieu, entre les acteurs humains et non humains.

Cette journée d’étude propose de revenir sur les moyens que les sociétés méditerranéennes de l’époque pré-bactériologique (XVe – XIXe siècle) ont employés pour tracer les épidémies qui ont marqué l’espace méditerranéen. Connaissances statistiques, représentations spatiales, pratiques sanitaires, perceptions religieuses, discours médicaux ont été mobilisés par différents acteurs, locaux, nationaux et transnationaux, en rivalité ou en complémentarité, dans le but de donner sens au phénomène biologique de l’épidémie. La journée d’étude veut mettre en lumière les interdépendances entre les discours médicaux, économiques et politiques, ainsi que le climat culturel, dans une perspective historique dynamique et selon une géographie plurielle englobant les échelles, locale, nationale et régionale. Elle propose leur articulation à partir de trois axes de réflexion complémentaires :

1. Expertise médicale et production des savoirs

Comment, et selon quelles conditions, le monde savant et le corps professionnel ont-ils interprété, décrit et mobilisé le concept d’épidémie ? Quels sont les rapports entre écrits savants et pratiques de santé publique dans ces contextes ? Comment les experts traduisent-ils une idée scientifique en pratique politique ? La notion d’expert est particulièrement importante eu égard notamment aux dynamiques qui influencent les relations d’antagonisme entre les différents types d’expertise. Le phénomène épidémique révèle l’empressement des divers acteurs (médecins, prêtres, hommes politiques) de contrôler les circulations savantes dans la constitution d’un savoir épidémiologique à l’échelle du bassin méditerranéen.

2. Gouvernementalité et politiques sanitaires

Dans quelle mesure les crises épidémiques reconfigurent-elles les modes de gouvernement des sociétés méditerranéennes ? Cette réflexion inclut les mesures d’exception (cordons sanitaires, lazarets, quarantaines), les collaborations entre États et experts, ainsi que les formes de surveillance et de contrôle des populations, notamment dans les ports, les villes frontalières ou les colonies. Les épidémies offrent un contexte propice pour qu’un pouvoir légitime soit établi en vue d’un contrôle aigu des populations et des virus.

3. Impacts démographiques et perception des populations

Comment les populations perçoivent-elles et vivent-elles ces crises ? Quelles réponses peuvent apporter les populations touchées par ces faits sociaux qui bouleversent tous les aspects de la vie d’une société ? Quelles traces démographiques, sociales et culturelles les épidémies laissent-elles ?   Comment les nouvelles approches de recherche démographiques ont-elle enrichi la recherche sur ces thématiques ? Cet axe s’interroge particulièrement sur les sources que les historiens peuvent mobiliser afin de répondre à ces questions. L’image, l’objet, le chiffre, le document, la prière constituent de traces importantes que l’effort individuel ainsi que collectif a laissées et dont le croisement enrichit nos approches historiques.

Références bibliographiques

  • BIRABEN Jean-Noël, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, E.H.E.S.S, Paris, 1975-1976.
  • BUTI Gilbert, Colère de Dieu, mémoire des hommes : la peste en Provence : 1720-2020, Paris, Cerf, 2020, p.200-208.
  • DRANCOURT Michel et al., « La paléomicrobiologie : la pulpe dentaire au service des archéologues », Médecine/Sciences, vol. 19, no. 8-9, 2003, pp. 775-779.
  • FOUCAULT Michel, La naissance de la clinique : une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963.
  • GARDEN Maurice. « Histoire de la santé publique ». In Un historien dans la ville, édité par René Favier et Laurence Fontaine. Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008.
  • GRMEK Mirko D, « Pour une nouvelle approche dans l’étude historique des maladies : la dynamique de la pathocénose », Atti del XXI Congresso internazionale di storia della medicina, 1970, Rome, p. 681-688.
  • GRMEK Mirko D., Pathological Realities: Essays on Disease, Experiments, and History, University of Rochester Press, 2018.
  • HENRY Louis, Population: Analyse démographique, INED, 1967.
  • MOUHOT Jean-François (dir.), Santé et environnement : une histoire globale, Presses Universitaires de Rennes, 2019.
  • PEREZ Stanis, Géohistoire des épidémies, documentation photographique, dossier n°8154, 2023 (4), p.1-16.
  • PORTER Roy, The Patient’s View: Doing Medical History from Below, Theory and Society, vol. 14, no. 2 (1985), p. 175-198.

Coordination :

  • Isabelle RENAUDET
  • Rocco BOERO
  • Athanasios BARLAGIANNIS


PROGRAMME

9h00 Ouverture de la journée par Isabelle RENAUDET (professeure en histoire contemporaine, Université d’Aix-Marseille, CNRS, TELEMMe)

9h10-09h30 Introduction par Rocco BOERO et Athanasios BARLAGIANNIS

9h30-11h10 Session I. Expertise médicale et production des savoirs

9h30-10h10 Tracer la fièvre jaune, dynamiques méditerranéennes face à l’arrivée d’une nouvelle menace sanitaire,
Rocco BOERO (doctorant UMR TELEMMe, CNRS-amU, Università degli Studi di Genova)

10h10-10h50 Tracer le choléra: des experts Grecs dans les Conférences sanitaires internationales de 1851, 1859 et de 1866,
Athanasios BARLAGIANNIS (Chargé de recherche, Centre des études historiques de l’hellénisme moderne, Académie d’Athènes – Membre associé, TELEMMe)

10h50-11h10 Discussion

11h10-11h30 Pause café

11h30-13h10 Session II. Gouvernementalité et politiques sanitaires

11h30-12h10 Les savoirs scientifiques et les politiques gouvernementales dans l’Empire ottoman : les épidémies de peste (XIVe-XVIe siècle),
Hayri OZKORAY (Aix Marseille Univ., CNRS, TELEMME, Aix-en-Provence)

12h10-12h50 Gouverner la ville en temps de peste. Réflexions sur l’exception, l’urgence et la « politique sanitaire »,
Nicolas VIDONI (Aix Marseille Univ., CNRS, TELEMME, Aix-en-Provence)

12h50-13h10 Discussion

13h10-15h00 Pause déjeuner

15h00-16h40 Session III. Impacts démographiques et perceptions des populations

15h00-15h40 Archéo-anthropologie des grandes épidémies du passé en Méditerranée : Enjeux et perspectives de recherche,
Dominique CASTEX (archéo-anthropologue, directrice de recherche au CNRS (UMR 5199 PACEA) à l’Université de Bordeaux)

15h40-16h20 Les tueuses d’enfants, des épidémies silencieuses – L’exemple de l’épidémie de 1705 en basse Provence,
Isabelle SÉGUY (INED/Université de Nice, CNRS, CEPAM)