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2.2 – Le travail dans les économies et les sociétés méditerranéennes

Antoine Raspal (1738-1811), Atelier de couture en Arles, 1760 Arles, musée Réattu (C) GrandPalaisRmn / Agence Bulloz

Coordination :


Ce groupe de recherche entend inscrire ses activités dans le prolongement des études menées en histoire et en géographie économique au cours des précédents programmes de l’unité. Il s’en différencie dans le même temps, en souhaitant donner toute sa place à l’histoire sociale, dont les effectifs n’ont cessé de grossir dans le laboratoire. Il s’agit donc d’opérer un regroupement des forces permettant de mener des enquêtes mêlant étroitement le social et l’économique. Il nous a semblé que le thème du travail se prêtait bien à ces objectifs organisationnels et scientifiques. De plus, si le travail – défini largement comme une activité organisée et tendue vers la production de biens et de services utiles – a été depuis quelques années un objet de recherches pluridisciplinaires de plusieurs laboratoires, notre unité ne s’en pas encore emparé collectivement. Les études de plusieurs membres de l’UMR ont pourtant démontré ce que l’unité pouvait apporter à cette question, notamment autour du rôle des femmes, de l’esclavage, du travail précaire, de la santé au travail, de la professionnalisation des métiers, de la contrebande, du travail maritime etc. Nul besoin, en outre, de présenter en détail l’extraordinaire cadre d’enquêtes constitué par la Méditerranée, dont la variété des situations dans le temps et dans l’espace offre une richesse rare pour aborder nombre de questions essentielles à la thématique du travail. Plusieurs directions sont envisagées pour les travaux à venir. Elles doivent former le socle de recherches qui concerneraient tous les secteurs de l’activité économique, depuis l’agriculture et la pêche jusqu’au commerce et à l’industrie, sans aucune exclusion de périodes, c’est-à-dire depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours.

  • La première sera de s’intéresser à la question du droit et des pratiques du travail. Les pratiques sont fabriquées par le droit « qui est à la fois la technique grâce à laquelle le champ économique a pu se structurer et la grammaire qui ne cesse de déterminer ses évolutions majeures » (Barbot, Spanò, Lenoble). En retour, grâce à l’inventivité des acteurs économiques pour mettre en place de nouvelles formes de travail ou contourner celles qui sont en place, elles poussent les pouvoirs publics et les institutions juridiques à produire de nouveaux cadres de régulation et de surveillance. Le travail devient dès lors un élément constitutif de la fabrique du droit, de normes et de règles.
  • L’espace perçu comme ressource et/ou contrainte pour le travail se présente également comme une autre direction prometteuse, dans ses dimensions vécues comme matérielles. Cette thématique s’observe dans de nombreux phénomènes, depuis les migrations de travailleurs jusqu’à l’essaimage d’entreprises. L’espace peut également être envisagé comme un territoire, c’est-à-dire un milieu dans lequel s’exerce le travail, avec ses ressources propres, mais aussi avec les difficultés qui le caractérisent. Cette approche permettrait de confronter des domaines divers, depuis les contraintes sociales, économiques et juridiques jusqu’aux problèmes sanitaires et environnementaux, en envisageant l’organisation des pratiques économiques comme de l’ordre social dans leur adaptation aux spécificités environnementales d’un territoire particulier, inséré dans des connexions à différentes échelles.
  • Les mobilités professionnelles et sociales ont toujours constitué une thématique forte des recherches sur le travail et il paraissait nécessaire de s’en emparer, tant les questions de circulation des hommes, d’intégration, de reproduction sociale ou encore du statut des individus restent fortes dans les études méditerranéennes. Il s’agirait ici d’interroger la place du travail comme moteur ou frein de ces mobilités multiples, qu’elles soient ou non marquées par un retour, en envisageant à la fois la question de la main d’œuvre et celle de la recherche de compétences spécialisées.
  • La question des techniques et du travail sera également traitée. Là encore, le possible champ des recherches est large, puisque l’on retrouve ici les questions sanitaires et environnementales, avec le rôle ambivalent des techniques, entre transferts et adaptations, qui se posent aussi bien en créatrices de dommages qu’en solution pour les éliminer ou les atténuer. Ce cadre permet également d’approcher des problèmes à la croisée du social et du culturel, avec notamment des questionnements autour des savoirs et des savoir-faire, depuis la formation à un métier jusqu’à son exercice par la professionnalisation.
  • La thématique du genre et de la construction des identités nourrira de même les travaux du groupe. Il s’agit notamment d’envisager le travail comme déterminant des appartenances des individus à la société et à ses composantes, avec les conséquences qui en découlent en termes de capacité d’action juridique, économique ou sociale, de droits, de statut et de représentation. Dépendance, vulnérabilité, inégalité, discrimination, etc. : la liste des sous-thématiques pouvant être étudiées dans ce cadre est large. De même, longtemps invisibilisé par l’historiographie, voire par les sources écrites, le travail des femmes peut ici être abordé dans ses multiples déclinaisons et dimensions, du foyer aux marchés urbains et jusqu’aux échanges internationaux. Il constitue également un point d’entrée possible, parmi d’autres, dans la question du temps (rythmes, cadences, répartition dans la journée, la semaine, l’année ou la vie) et des formes diverses de revenus ou de rémunération du travail.
  • Enfin, le groupe se saisira de la question « vivre et penser le travail ». S’il paraît aujourd’hui évident qu’il existe un concept, que nous nommons “travail”, qui permet d’englober toute une série d’activités différentes, son existence même est toutefois le fruit d’une construction que nous nous proposons d’étudier du Moyen Âge au XIXe siècle, en croisant les productions idéologiques intellectuelles avec les sources de la pratique qui indiquent comment les acteurs vivent, ressentent et considèrent leur activité – qu’ils la nomment ou non “travail”. Cette recherche est susceptible d’être appliquée à tous les domaines de l’activité dont nous n’exclurons pas le champ du « travail intellectuel » en tant que pratique et comme construction sociale.