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[AAP]La fabrique de l’oubli

Une maison abandonnée, Santiago, Chili, par Javier Ignacio Acuña Ditzel, 2008. Licence CC BY-NC 2.0 Source : https://www.flickr.com/photos/santoposmoderno/2391044477.

Journée d’études des Jeunes chercheur·euse·s de l’UMR TELEMMe
24 mai 2023, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH), Aix-en-Provence

Du trou de mémoire à l’amnésie et de l’inattention au déni, l’oubli se caractérise par la perte partielle ou totale, momentanée ou définitive, de souvenirs d’événements, de représentations et d’espaces vécus, qu’ils soient intimes ou partagés1. En ce sens, l’oubli se définit en miroir de la mémoire et fait partie intégrante de la construction d’identités individuelles et collectives. Dans la manière dont il se fabrique, il s’appréhende comme un processus sociopolitique et culturel volontaire, inconscient et/ou subi. Cette journée d’études sera l’occasion d’aborder la construction de l’oubli, élaborée à des échelles spatiales et temporelles plus ou moins étendues, et mettant en tension une diversité d’acteur·ice·s.

Si l’oubli et son corollaire, la mémoire, sont souvent pensés ensemble2, nous proposons de nous focaliser sur cet objet et sur la manière dont les chercheur·euse·s en sciences sociales l’analysent aujourd’hui. La mémoire comme objet a été étudiée par les psychanalystes et sociologues au début du siècle dernier3, avant que les historien·ne·s d’après-guerre ne s’en emparent au prisme des injonctions liées au « devoir de mémoire »4. Depuis le tournant épistémologique des années 1970 et 1980 et la vague mémorielle des années 1990, la mémoire et l’oubli sont présents dans toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Les subaltern studies, les postcolonial studies, les gender studies offrent autant d’objets que de grilles d’analyse qui interrogent les contours de l’oubli, en mettant en évidence les rapports de pouvoir et l’instrumentalisation de la mémoire, ainsi que les enjeux épistémologiques qui leur sont liés. Aujourd’hui, cette « fabrique de l’oubli » permet de questionner l’avenir de la recherche à l’aune des bouleversements provoqués notamment par le numérique.

L’oubli et la mémoire s’inscrivent conjointement dans un processus permanent et sélectif de (re)construction du passé, qui répond à un besoin de représentations, de récits et d’imaginaires communs. Alimentée par son propre fonctionnement, la « fabrique de l’oubli » implique des acteur·ice·s qui y participent de manière consciente ou non, et de façon différenciée selon des échelles plus ou moins grandes. Les chercheur·euse·s participent aussi à fabriquer l’oubli par leurs analyses, ce qui appelle une réflexion sur la posture à adopter face à un objet qui peut aspirer à l’oubli.

Parfois émancipatrice, parfois oppressive, notamment à l’encontre des catégories subalternes et invisibilisées, la « fabrique de l’oubli » fait appel à l’agentivité des acteurs sociaux et est largement définie par les rapports de domination qui traversent la société. En cela, cette thématique poursuit les réflexions menées dans le cadre des activités scientifiques des jeunes chercheur·euse·s de l’UMR TELEMMe tout en s’inscrivant dans des enjeux sociopolitiques actuels sur les questions de mémoire.

1. Oubli qui arrange, oubli qui dérange

L’oubli peut être pensé comme le produit d’un rapport de force. Il contribue autant à reproduire un ordre social qu’à le perturber, par les interrogations qu’il suscite. Pourquoi oublier et faire oublier ? Comment expliquer une démarche volontaire d’enfouissement de la mémoire ? La tentative de faire oublier aboutit-elle toujours ? Quels groupes sociaux sont les plus susceptibles de vouloir faire oublier et pourquoi ? Quels individus, lieux, territoires, événements et objets veut-on faire oublier ? L’oubli peut-il participer à la réconciliation et à pacifier les rapports sociaux ?

2. Trous de mémoire, absences et impensés

Les mémoires individuelles et collectives opèrent une sélection — parfois accidentelle ou inconsciente — qui laisse tomber dans l’oubli objets, individus et lieux. Elle peut être le fruit d’impensés, de ce à quoi on n’accorde pas d’importance. Où placer la limite entre l’oubli volontaire et l’oubli involontaire ? Faut-il nécessairement s’inscrire dans un rapport de force pour tomber dans l’oubli ? Quel rôle joue le passage du temps dans la fabrique de l’oubli ? Ce qui est à la marge est-il voué à être oublié ?

3. Déconstruire l’oubli, construire une mémoire

Les traces laissées par ce qui a été oublié permettent au présent de dialoguer avec le passé : elles sont le fondement d’une possible recomposition et restauration de la mémoire. Quelles peuvent être ces traces ? Qui contribue à la sortie de l’oubli ? Le besoin de recréer une mémoire appelle-t-il une oblitération du passé ? Comment tirer parti d’une fabrique de l’oubli inaboutie ? À l’inverse, peut-on « désoublier » ? Comment panser les séquelles de l’oubli ? Quels sont les usages et les pratiques autour des lieux oubliés ?

Ces thématiques devront être abordées à l’aide d’études de cas et de travaux empiriques issus de diverses disciplines (géographie, histoire, histoire de l’art, archéologie, sociologie, anthropologie, philosophie, langues et littérature, musicologie, psychologie, sciences juridiques, science politique, économie, sciences de l’information et de la communication…). Une attention particulière sera accordée aux communications qui font apparaître des approches méthodologiques employées par les chercheur.ses confronté.es à des objets de l’oubli, y compris dans une dimension réflexive.

1A. Frémont, La région, espace vécu, Paris, Presses universitaires de France, 1976.
2P. Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
3M. Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Librairie Félix Alcan, 1925.
4S. Ledoux, Le Devoir de mémoire. Une formule et son histoire, Paris, Éditions du CNRS, 2016

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Les propositions des doctorant·e·s ou des jeunes docteur·e·s devront être envoyées avant le 15 mars 2023 à l’adresse : jjctelemme@gmail.com. Elles comporteront un titre, un résumé de la communication projetée (500 mots maximum) ainsi qu’une brève présentation de l’auteur·rice (nom, situation, unité de rattachement).

La journée d’études se tiendra le 24 mai 2023 à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, 5 rue du Château de l’Horloge, 13094 Aix-en-Provence. Les frais de transport et d’hébergement restent à la charge des participant·e·s ou de leur institution de rattachement.