Journée d'études
Date(s) : du 15 novembre 2017 9 h 00 au 15 novembre 2017 17 h 00
Lieu : Aix-en-Provence, MMSH, salle Duby
Organisateur(s) / trice(s) à TELEMMe :
Groupe(s) organisateur(s) :
PRÉSENTATION
Malgré le dynamisme récent de l’histoire des émotions, la question des usages historiques de la notion d’émotion collective a été jusqu’à présent peu abordée. Pensée dans un moment intellectuel bien particulier, celui de l’émergence d’une psychologie sociale entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle (Tarde, Le Bon, Durkheim, etc.), l’émotion collective n’a jamais été un outil conceptuel anodin pour saisir le partage émotionnel à l’intérieur d’une collectivité de personnes, mais elle est d’emblée un discours politique sur la foule, sur le peuple, qu’elle constitue en sujet tout en l’amputant de tout projet critique. Les masses sentent, elles ne pensent pas. Dès lors, cette conception fusionnelle de l’émotion commune nourrit aussi bien un discours apologétique du peuple qui sait le vrai parce qu’il sent ensemble qu’une vision régressive des masses animalisées, par nature inaptes à se gouverner par elles-mêmes. Ces écueils doivent-ils inciter l’historien à se tenir prudemment à l’écart d’une notion biaisée par ses assises idéologiques? Nous pensons au contraire que c’est parce qu’elle est problématique que la notion d’émotion collective doit être soumise au regard critique de l’historien, ne serait-ce que parce que sa profondeur historique, son usage par ceux qui écrivent l’histoire ou rendent compte de leur histoire, sont très anciens, et remontent bien au-delà de la construction contemporaine du concept. Comment le collectif est-il pensé et agit-il dans l’histoire, la mise en récit des événements, à partir du partage émotionnel? Comment l’émotion collective participe-t-elle d’une mémoire commune qui fonde des identités partagées et définit des modalités d’action? Cette journée d’études se donne donc pour objectif de rouvrir une réflexion concertée sur les conceptions et usages de l’émotion collective dans l’écriture de l’histoire et le travail critique de l’historien.
Jean-Jacques COURTINE 2018 Leverhulme Trust Visiting Professor, Queen Mary, University of London
La voix du peuple. Les émotions et la foule à l’aube de l’ère des masses
Une ère nouvelle s’ouvre dans les toutes dernières années du XIXème siècle, qui voit l’émergence de formes inédites d’observation et de réflexion sur les émotions humaines, et place celles-ci au centre de la vie individuelle, politique et sociale. En 1895, Gustave Le Bon publie La psychologie des foules, mais c’est bien de la puissance des émotions qu’il s’inquiète, de leur volatilité, de leur inquiétante contagion lorsqu’elle gagne le champ politique. Le Bon, Tarde, ou Durkheim : ces ouvrages où s’inventent les sciences sociales font alors de la propagation des affects dans la vie publique une question cruciale.
C’est donc la foule, à l’aube de l’ère des masses, qui va être l’objet essentiel des questions posées ici : comment, de l’usage de la parole, surgissent les émotions qui s’emparent d’une masse humaine toute entière ? Comment endiguer et diriger la puissance aveugle des émotions « collectives » ? Et qu’entend-on au juste par-là ? A ces questions dont le siècle qui vient de s’achever a constitué la scène souvent tragique, on va tenter de lire la réponse qui fut apportée alors qu’il débutait, et qui allait engager son avenir.
Christophe TRAÏNI IEP Aix-en-Provence, CHERPA
Les émotions collectives et les engagements militants à l’aune du détour historique
Au cours de la dernière décennie, la sociologie des engagements militants et des mobilisations collectives s’est appliquée à mieux prendre en compte des dimensions émotionnelles qu’elle avait longtemps écartées de son domaine d’investigation. L’analyse des substrats affectifs, en effet, s’avère indispensable à une bonne compréhension de deux phénomènes à la fois distincts et complémentaires : d’une part les processus d’adhésion à une cause, d’autre part les procédures de mobilisation des soutiens. L’objectif de cette intervention est de montrer que, loin de toute régression vers une « psychologie des foules » surannée, l’analyse se doit ici de s’appuyer sur un matériel empirique bien tangible que le chercheur peut collecter aussi bien à travers des données d’archives des siècles précédents que des observations auprès des militants du présent. Dans cette optique, un certain nombre de notions et de principes s’avèrent toutefois indispensables afin de déjouer les soupçons d’impressionnisme et de psychologisme : « dispositif de sensibilisation », « régimes émotionnels », distinction entre les états affectifs éprouvés et les états affectifs exprimés, complémentarité des approches indiciaire et sémiologique…
Sophie BABY Université de Bourgogne – IUF – UMR 7366 Centre Georges Chevrier
Histoire et mémoire des émotions collectives dans l’Espagne post-franquiste
À l’heure où les émotions collectives battent le devant de l’actualité catalane, interprétée souvent sous l’angle de l’expression déraisonnable de la passion nationaliste à laquelle est opposée la froideur de la légalité et l’immobilisme ferme de la raison d’État, il ne semble pas inutile de revenir en amont à l’histoire des émotions collectives dans l’Espagne démocratique. Il s’agira non seulement d’ébaucher l’histoire de l’irruption des émotions dans l’espace du politique depuis la fin du franquisme, mais aussi de décrypter le sens et les effets des incessantes instrumentalisations partisanes tant des émotions du présent que de celles d’un avenir redouté, où pèsent lourdement les mémoires des émotions du passé. L’hypothèse centrale qui sera soumise à la discussion repose sur l’idée que la démocratie espagnole se serait construite sur la volonté de mise à distance de l’émotion, à un moment où celle-ci menaçait précisément de déborder un espace public neutralisé depuis des décennies. L’incapacité des gouvernements de Madrid à penser et intégrer les voix critiques qui se multiplient depuis une décennie pourrait ainsi être éclairée sous l’angle d’un rapport originel d’intense crispation face à l’incursion des émotions collectives en politique.
Piroska Nagy UQAM
Émotion, action et communauté. Le témoignage du mouvement patarin dans la chronique de Landulf Senior (1075/1085)
La pataria milanaise (1057-1075) était un des premiers mouvements « religieux et populaire », en même temps que politique, du deuxième millénaire dont une variété assez grande de sources est parvenue à nous. À lire les témoignages principaux, l’émotion collective était un acteur fondamental lors de ce mouvement : action et émotion y semblent inséparables. Pour cette raison, j’ai choisi de reprendre, pour cette communication, une question fondamentale de l’appel qui nous a été adressé : « Comment le collectif est-il pensé et agit-il dans l’histoire, la mise en récit des événements, à partir du partage émotionnel ? » et interroger un seul auteur, Landulf Senior, dont la chronique écrite vers 1075/1085 est la source la plus prolixe sur les événements qui ont secoué Milan pendant près de deux décennies. Je m’intéresserai successivement sur les manières de dire et d’attribuer les émotions chez Landulf, puis à la manière dont ces émotions participent de l’action du mouvement, pour m’interroger enfin à la façon dont elles participent à constituer la, sinon les communautés dont Landulf cherche à démontrer l’existence.
Sophie WAHNICH CNRS, UMR 8177 – Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain
Émotions collectives, attente républicaine et mort du roi
L’amour pour le roi initiateur des réformes a été l’émotion sinon collective du moins partagée au début de l’événement révolutionnaire. Mais le désamour n’a jamais cessé de se manifester et il est devenu à proprement parler collectif après sa fuite. Cette communication interrogera cette notion d’émotion collective selon deux dispositifs, celui d’un corpus de pétitions et celui d’un corpus de descriptions de manifestations publiques. Nous pourrons ainsi comprendre ce qui fonde émotivement et l’attente républicaine et la mort du roi dans le déploiement des émotions de juin juillet 1791, de Juin juillet août 1792 et in fine pendant le procès du roi et son exécution.
PROGRAMME
Damien Boquet (AMU-CNRS, TELEMMe)
Introduction
Isabelle Luciani (AMU-CNRS, TELEMMe)
Présidence de session
Christophe Traïni (IEP Aix-en-Provence, CHERPA)
Les émotions collectives et les engagements militants à l’aune du détour historique
Piroska Nagy (UQÀM)
Émotion, action et communauté. Le témoignage du mouvement patarin dans la chronique de Landulf Senior (1075/1085)
Isabelle Renaudet (AMU-CNRS, TELEMMe)
Présidence de session
Sophie Wahnich (CNRS, UMR 8177 – Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain)
Émotions collectives, attente républicaine et mort du roi
Sophie Baby (Université de Bourgogne – IUF – UMR 7366 Centre Georges Chevrier)
Histoire et mémoire des émotions collectives dans l’Espagne post-franquiste
Jean-Jacques Courtine (2018 Leverhulme Trust Visiting Professor, Queen Mary, University of London)
La voix du peuple. Les émotions et la foule à l’aube de l’ère des masses