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L’Occident se regardant au miroir musulman : le Viaje de Turquía (1557-1558)

Intervention de :

Journée d'Etudes : Résonances islamiques en Occident

Date : 4 mars 2022

Lieu : FLSH – Université de La Réunion, France

Organisation : Bénédicte LETELLIER & Guilhem ARMAND) EA DIRE – FLSH – Université de La Réunion


Présentation de l'intervention

Nous proposons de nous pencher ici sur un texte particulièrement original, un ovni de la littérature espagnole, le Viaje de Turquía rédigé entre 1577 et 1558, qui est resté à l’état de manuscrit anonyme. Le texte se présente comme un dialogue entre trois personnages dont le nom est, très clairement un nom fictif (Pedro de Urdemalas, Matalascallando et Juan de Voto a Dios), dans lequel Pedro de Urdemalas raconte son séjour chez les Turcs, d’abord comme captif puis comme médecin. Le texte se présente donc, de prime abord, comme une fidèle description des coutumes des Turcs dans un but qui se prétend informatif.

Le caractère anonyme du texte s’explique pour plusieurs raisons, la principale étant que l’auteur se fait le porte-parole des idées érasmistes qui, à l’époque, apparaissaient dangereusement proches du protestantisme. L’auteur anonyme y exprime, sans détours, une critique de la société chrétienne et, encore plus, une critique de la pratique religieuse chrétienne, dans un but de réforme, dénonçant, entre autres, la corruption et l’ignorance du clergé, la prolifération des superstitions, le culte des images, la vacuité des rites et des cérémonies qui ne sauraient combler le manque criant d’une foi sincère et véritable.

Le plus intéressant est que cette critique de l’Occident chrétien se fait à travers une comparaison constante avec les Turcs et leur propre pratique de l’Islam. A travers un jeu de comparaisons et d’inversions paradoxales qui concentrera une grande partie de notre attention, l’auteur anonyme en vient à démontrer que les musulmans sont plus charitables, plus généreux, plus pratiquants que les chrétiens et que finalement, les musulmans ont un comportement plus fidèle aux préceptes de l’Evangile que les chrétiens eux même : en un mot, les musulmans turcs sont plus authentiquement chrétiens que les chrétiens eux-mêmes.

Enfin, ce texte montre la pratique fidèle de la foi chez les musulmans turcs, la stricte observance des préceptes de l’Islam (ce que nous serions tentés d’appeler maintenant « intégrisme ») comme un élément modélisant, dont devrait s’inspirer un Occident chrétien, vautré dans le matérialisme, la corruption, l’hypocrisie et les faux-semblants.

Le propos du texte est, bien sûr, un propos de réforme du monde chrétien : il s’agit de réformer le christianisme vers plus d’intériorité, d’authenticité, de respect des préceptes évangéliques. Mais ce qui nous intéresse ici c’est que cette volonté de réforme passe par le regard sur l’altérité musulmane : loin d’être repoussoir, l’Autre musulman devient ce levier et cet exemple qui nous permet, à nous, Occidentaux, de nous améliorer et de nous améliorer, paradoxalement, dans notre propre foi chrétienne.


Plus d'informations : https://dire.univ-reunion.fr/actualites-dire/letellier