Intervention de :
Colloque : La sueur et la poussière. Une histoire environnementale des mondes du travail
Date : 20 juin 2024
Lieu : Université Toulouse-Jean Jaurès Maison de la Recherche, France
Organisation : RUCHE/Afhmt
Présentation de l'intervention
Aujourd’hui objet de multiples mesures de protection, le phoque de Méditerranée (Monachus monachus, Hermann 1779) a fait l’objet jusqu’à une date récente de pratiques de chasse et de destruction qui ont amené cette espèce au seuil de la disparition au début des années 1990. Ces évènements ont fait l’objet, de la part des écologues, de recensions partielles et relativement anciennes. À l’heure où des colonies de ce pinnipède semblent retrouver une lente croissance, il semble opportun de revenir sur les raisons de la pression séculaire exercée sur les phoques moines, en réinterprétant ces massacres ou ces captures sous l’angle d’une économie maritime de basse intensité, incluant registre halieutique, pratique scientifique ou encore activités de loisir.
Perçu comme un concurrent pour la ressource, et donc une menace pour l’activité économique des pêches, le phoque moine a subi l’hostilité des communautés halieutiques sur tous les rivages de la Méditerranée depuis les débuts de l’époque moderne. Ces mêmes communautés, si elles n’ont pas toujours mis à mort l’animal, ont participé à des pratiques régulières de captures, destinées aux travaux des biologistes marins et des zoologues. À mesure que l’espèce disparaissait, les territoires coloniaux du Maghreb devinrent à la fin du XIXe siècle les principaux fournisseurs des ménageries et des laboratoires européens.
Le travail proposé entend croiser les apports de l’histoire environnementale, celle du commerce du vivant et celle du travail animal dans un cadre européen et impérial. Nourri par un abondant corpus (archives des administrations coloniales, registres d’acquisition d’institutions scientifiques, rapports d’officiers de marine, littérature savante, presse), il s’attachera à faire émerger les connexions économiques établies entre pêcheurs, transporteurs, intermédiaires, et personnels des laboratoires, le phoque devenant dans ce complexe relationnel une marchandise échangée et parfois spéculative.
Cette étude abordera par ailleurs un volet important de ce commerce, celui de l’exploitation du corps du phoque par l’économie des loisirs. Vendu à des particuliers apparaissant comme des entrepreneurs opportunistes du spectacle naturaliste de rue, le phoque alimente également les cages et les bassins de ménageries. Dans les deux cas, l’animal est mis au travail. Il est soumis à des pratiques d’exposition et/ou de dressage. Dans le sillage des animal studies, les conditions de ce travail forcé seront examinées sous l’angle de leurs conséquences sanitaires, en essayant également de déceler ce qui, dans les sources, témoigne de l’expression d’une résistance de l’animal à son statut de captivité, l’agressivité, mais aussi l’apathie, étant ici considérés comme des marqueurs de traumatisme.