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Entre normes et pratiques, les étrangers des trafics maritimes romains (1742-1797)

Christopher Denis-Delacour

Entre normes et pratiques, les étrangers des trafics maritimes romains (1742-1797)

Thèse de Doctorat en Histoire et humanités

Sous la direction de Gilbert Buti et de Biagio Salvemini, Istituto Italiano di Scienze Umane

Soutenue le 28/06/2012 à AMU

Membres du jury :

Andrea Addobbiatti, université de Pise Renata Ago, université de la Sapienza de Rome Gilbert Buti, Aix-Marseille Université Wolfgang Kaiser, université de Paris I Brigitte Marin, Aix-Marseille Université Biagio Salvemini, université de Bari

Mention : Très honorable avec félicitations

Résumé :

L’objectif est de déterminer les ressources mises en jeu par les acteurs maritimes qui surent tirer profit des difficultés pontificales en matière d’organisation des trafics. A des degrés divers, ils réussirent à s’insérer dans les interstices économiques laissés vacants et ce malgré le raidissement du contrôle des échanges maritimes battant pavillon étranger. A ce titre, le XVIIIe siècle romain fut marqué par une redécouverte tardive de l’importance de la donnée maritime en matière économique. Ce mouvement s’inscrivait dans un contexte où en Méditerranée les échanges commerciaux se resserrent et les trafics progressent, avec diverses redistributions entre les sociétés littorales italiennes et méditerranéennes. Au cours du XVIIIe siècle, la réalisation du ‘commerce actif’, source de la pubblica felicità, devint également le moteur des politiques économiques de la Péninsule. La mer s’institutionnalisa et se territorialisa alors dans le sens de l’Ancien Régime avec de nombreuses contradictions du point de vue juridique. L’espace littoral était alors le terrain d’affrontement entre Etats par l’intermédiaire d’institutions, de législations et d’une production normative visant à un strict protectionnisme économique. Toutefois la norme qui pouvait de prime abord apparaitre uniquement restrictive constituait surtout la base des négociations afin d’obtenir une réciprocité commerciale. Plus que le désir d’affirmer une hypothétique ‘puissance’ maritime, l’Etat pontifical chercha surtout à profiter du développement général des trafics en contrôlant mieux son ‘capital’ littoral aux mains d’acteurs fuori stato. L’institution ou renouvellement des ports francs en 1732 à Ancône et 1741 à Civitavecchia en sont le parfait symbole. Mais plus intéressant est la tentative de ‘faciliter’ le règlement des litiges commerciaux inhérents aux trafics par l’intermédiaire du Tribunale del Consolato del mare de Civitavecchia. L’institutionnalisation d’un Consulat de la mer, suite à la rénovation de l’édit pour la franchise du port en 1741, s’inscrivait avec retard dans un mouvement de réappropriation de l’exercice de la justice. Les Etats modernes revendiquèrent en effet les prérogatives autrefois exercées par les Consuls des nations étrangères en se dotant progressivement d’organismes à même de juger tous les litiges commerciaux ou civils se déroulant sur le sol national, qu’ils concernent les sudditi ou les stranieri. L’institution devait surtout contribuer à rendre attractif le ‘grand’ port romain aux opérateurs étrangers en permettant à la fois le développement des activités maritimes et la ‘pubblica felicità’ de l’Etat romain.

Ainsi, l’espace pontifical constitue un observatoire privilégié des contradictions entre les théories économiques gouvernant la politique d’un Etat et la réalité pratique des échanges maritimes. En effet, l’application stricte des normes aurait entrainé, dans une certaine mesure, le blocus du commerce. Or, acteurs et institutions étaient à même d’interpréter le cadre juridique des trafics avec un haut niveau de flexibilité, une ‘souplesse’ parfois intégrée au cœur même de la norme. A titre d’exemple, si la contrebande était défendue les ‘visites’ d’embarcations afin de s’en prémunir n’étaient pas toujours autorisées. Au sein de cette zone ‘grise’, outre les connaissances et les pratiques, s’enchevêtraient également les niveaux de pouvoir et de fonctions qui sont propres à la société portuaire. Ainsi, entre normes et pratiques, il s’agira de déterminer les facteurs permettant de ‘parier’ sur la moralité moyenne des acteurs. C’est en effet dans le cadre informel des rapports marchands que s’orientait le ‘choix’ économique.

La notion de segmentation des trafics prend ici tout son sens. Navigations forestieri et contexte local s’influençaient en effet mutuellement dans la construction des circuits multiformes de la médiation, parfois avec virulence. L’exemple, entre autres, des capitaines napolitains, génois, vénitiens mais également français et nordiques montrent ainsi la diversité des rapports au marché, des types de circulation, des motivations, des segmentations et de la production normative qui encadre le marché à l’intérieur d’un même espace. En tenant compte de ces éléments, donner un caractère interdisciplinaire à la recherche en cours, notamment en investissant les champs du droit maritime, s’avère nécessaire car les acteurs se trouvaient eux-mêmes confrontés à des pratiques marchandes, institutionnelles et sociales multiformes. L’exploration des stratégies d’insertion des opérateurs économiques étrangers au sein de l’économie maritime romaine constituera ainsi le cœur de la thèse envisagée.