Yassine Temlali
Pour une autre histoire des rapports de l’Etat central à la Kabylie dans l’Algérie algérienne: 1962-1965. Loyalisme et dissidences, arabisation et affirmation berbère (kabyle)
Thèse de Doctorat en Histoire
Sous la direction de Karima Dirèche
Soutenue le 29/03/2021 à Aix-en-Provence / en ligne
Membres du jury :
- Directeur de thèse : Mme Karima DIRECHE, TELEMME-MMSH
- Examinateur : M. James MCDOUGALL, Université d’Oxford, Angleterre
- Examinateur : M. Alain MAHé, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
- Rapporteur : M. Amar MOHAND-AMER, Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Oran, Algérie)
- Examinateur : Mme Malika RAHAL, Institut d’histoire du temps présent (CNRS, Paris VIII)
- Examinateur : Mme Aude SIGNOLES, Institut d’Etudes politiques (Aix-en-Provence)
- Examinateur : M. Rostane MEHDI, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence
- Rapporteur : M. Rachid OUAïSSA, Philipps-Universität (Marburg, Allemagne)
Résumé :
Dans une approche d’historiographie critique, cette thèse aborde les relations entre le régime d’Ahmed Ben Bella et la Kabylie dans les trois années qui ont suivi l’indépendance algérienne (1962-1965). Elle interroge les deux récits dominants qui s’affrontent dans la lecture des événements de cette période. Le premier est le récit d’Etat qui ne réserve aucune place à ces relations, si bien qu’un événement aussi important que l’insurrection du Front des forces socialistes (septembre 1963-juin 1965) restée globalement confinée en Kabylie, en est absent ou y est fortement euphémisé. Le second est le récit militant berbère qui interprète ces relations sous le jour d’une ferme volonté du régime d’écraser cette région par la marginalisation de ses élites et l’arabisation de ses habitants. Le premier récit pose l’existence d’un rapport uniforme de l’Etat central aux différentes régions du pays. Le second pose celle d’une Kabylie de tout temps unie dans son attachement à son particularisme et luttant contre un pouvoir arabiste tout aussi uni dans le rejet de ses aspirations politiques et culturelles. En interrogeant ces deux récits, cette thèse montre l’extrême complexité des rapports entretenus par le régime algérien à la Kabylie entre 1962 et 1965. S’il a toujours vu en cette région un casse-tête politique, pour ainsi dire, il n’y a pas vu un ennemi à abattre. S’il a réprimé ses élites oppositionnelles, il s’y est aussi ménagé de nombreux alliés qu’on ne saurait réduire à des « Kabyles de service » et dont quelques-uns ont cru pouvoir s’inspirer de la tradition municipale kabyle pour organiser le parti de l’Etat, le FLN, sur une base démocratique. S’il a sévèrement réprimé l’insurrection du FFS, il a aussi tenté d’en assécher les sources socio-économiques par des projets de développement local faisant quelquefois appel aux traditions d’entraide villageoises kabyles. S’il se méfiait de toute forme d’attachement aux particularismes berbères, il n’a pas conçu le projet de « déberbériser » la Kabylie ou l’Algérie. Son récit national, tel qu’il se décline dans les manuels scolaires, apparaît comme ayant réservé une part non négligeable à l’Antiquité préislamique. De même, malgré ses tonitruantes professions de foi arabistes, il n’a pas oeuvré à anéantir la berbérophonie en tant que fait sociolinguistique. Non pas qu’une partie de ses élites n’y aspirât pas mais parce que confrontée à une francisation qui avait duré 132 ans, l’arabisation s’est réduite de 1962 à 1965 à une « défrancisation » hésitante et velléitaire, qui ne s’est intéressée aux langues dialectales que pour les « purifier » des influences françaises. Certes, la période 1962-1965, pendant laquelle s’est formé le visage de l’Algérie indépendante, a déterminé l’évolution de l’affirmation berbère : après l’échec de l’insurrection du FFS, une partie des élites kabyles a évolué vers un panberbérisme en rupture avec le nationalisme algérien, tandis que se forgeait la conscience identitaire d’une jeune génération kabyle qui devait donner au mouvement de revendication berbère ses premiers militants. Cependant, comme le montre notre thèse, cette période doit être distinguée, sous l’angle des rapports de l’Etat central à la Kabylie, de la présidence de Houari Boumediene. Car, entre 1965 et 1978, la négociation comme mode de relations parmi d’autres, avec les élites kabyles a cédé le pas à un autoritarisme assumé au nom de l’ordre et tout attachement à la berbérité était réprimé dès qu’il n’était plus, comme dans le récit national officiel, une simple reconnaissance pour l’Algérie d’un fond historique lointain, sans prolongement dans le présent.