Marie Adjedj
‘Procéder avec l’art : usages du document par les intermédiaires au tournant des années 1970’
Thèse de Doctorat en Histoire de l’Art
Sous la direction de Alexandre Quoi
Soutenue le 11/01/2019 à Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme5 rue du château de l'horloge13090 Aix-en-Provence Paul-Albert Février
Membres du jury :
Composé de Mme TOUSSAINT Évelyne Professeur, Mme MAVRIDORAKIS Valérie Professeur, M. STREITBERGER Alexander Professeur, M. BROGOWSKI Leszek Professeur, M. QUOI Alexandre Maître de Conférences.
Mots clés : Histoire de la critique d'art et de l'exposition, Historiographie, Document,
Résumé :
À la fin des années 1960, dans un contexte de crise de légitimité des institutions, de nombreux artistes s’opposent au pouvoir et au contrôle du système marchand-critique et muséal. Certains marchands, critiques et commissaires d’exposition s’associent à cette parole, et tâchent de déhiérarchiser le monde de l’art. Parmi eux : Germano Celant, Lucy Lippard, Carla Lonzi et Seth Siegelaub, ainsi que Kynaston McShine et Harald Szeemann. Les enjeux de leurs démarches ne se situent ni dans la négation des appareils de l’art, ni dans la redéfinition de leurs fonctions, mais dans la construction d’une position de sujet non surplombante. Pour ce faire, ils investissent le document au titre de ses économies qui relèvent tout à la fois du marché de l’art, de l’édition, de méthodes, toutes corrélées, dans le contexte de l’art conceptuel et post-minimal, à des uvres et écrits d’artistes. Chacun des intermédiaires étudiés déploie sa pratique à l’aune d’un régime de l’information, qui suppose une collaboration étroite avec les artistes afin de leur restituer le contrôle sur la circulation de leurs uvres et les discours qui sont produits à leurs sujets.Toutefois, dans son occurrence critique, le régime de l’information ne s’accompagne aucunement du silence des intermédiaires. Dans les démarches de Germano Celant et Lucy Lippard, les énoncés critiques sont préservés, mais selon des modalités qui entendent déléguer au public l’une de ses opérations, qui est l’interprétation. Celant et Lippard ont par ailleurs en commun de développer des méthodes qui leur permettent d’occuper une position de témoin, dont l’historicité, synchronique avec la création contemporaine, préserverait leur projet des opérations historiographiques jugées comme étant une violence exercée sur l’art. Les formes éditoriales singulières qui en découlent sont ainsi des vecteurs propices à signaler leur position, et insèrent les uvres et la parole des artistes dans leurs réflexions méthodologiques, omniprésentes, sur leurs propres fonctions et attributions. Les usages du document dans le régime critique de l’information se doublent alors d’un enjeu qui tient à la construction d’une figure d’autorité apte à se démarquer des modalités d’exercice de la critique d’art alors dominante, tout autant que de ses représentants. Celant tâche de substituer au trope du « critique militant », incarné par Carlo Argan, celui du « critique héros ». Lucy Lippard quant à elle confronte le projet de Clement Greenberg, qui est d’adapter à la critique la méthodologie de l’histoire de l’art.Conjointement, le régime de l’information est confronté à un autre paradoxe, qui tient à la difficile conciliation entre la défense d’une autoréférentialité de l’art et des ambitions politiques élargies à la société. Les débats qui ont eu lieu en 1972 autour de la documenta 5 sont représentatifs de ces frictions. Cette situation donne lieu à des devenirs variables des démarches, entre renoncement à l’art et investissement approfondi des pratiques du document. Carla Lonzi quitte la critique d’art pour se consacrer au féminisme en 1970, et Seth Siegelaub se retire du monde de l’art pendant vingt ans à partir de 1972 pour poursuivre ses activités dans d’autres domaines. Lucy Lippard en revanche prolonge ses recherches en pensant la force politique de l’art par le biais de ce qu’elle nomme un « archival activism ». Ces contradictions, inhérentes aux termes même du régime de l’information, ont toutefois été contournées par Lawrence Alloway. Sa démarche investit pleinement les théories de l’information et de la communication pour repenser sa position d’intermédiaire selon des modalités non surplombantes, dont les horizons politiques sont indéniables, et les arguments en rien avares de critiques vis-à-vis des appareils de l’art. Néanmoins, Alloway ne s’inscrit aucunement dans les registres du témoignage ou de la complicité, mais défend ouvertement le postulat du critique d’art comme « usager de l’art ».
Keywords : History of art criticism and exhibition making, Document, Historiography,
Abstract :
At the end of the 1960’s, in a context of serious crisis of institutional legitimacy, number of artists defy the power and control of art market, criticism and museum. Some dealers, critics and curators join in and intend to de-hierarchize the art world. Among them : Germano Celant, Lucy Lippard, Carla Lonzi and Seth Siegelaub, along with Kynaston McShine and Harald Szeemann. What is at stake in their practices does not have to do with denying the art system, neither defining new functions for the intermediaries, but is about occupying a position which would no longer be authoritarian. To do so, they relate their research to the document, considered as an operating mode involving trading, editing and methods. This operating mode is interrelated to art works and artists’ texts in a context of conceptual and post-minimal art. The intermediaries who are part of this study develop their practices as an informational system, which suppose a close cooperation with the artists in order to restore their control on the circulation of their own works, along with their authority on the discourses about them.Nevertheless, the art criticism declination of this informational system does not go with the absence of discourses from the art critics. In the cases of Germano Celant and Lucy Lippard, criticism is stable, even though they intend to delegate interpretation to the audience. Besides, Celant and Lippard have in common to set up methods capable of situating themselves as observers. It involves an historicity caracterised as synchronic to artistic creation, what would prevent them from writing art history, a discipline considered as violent on art. Those methods lead to unusual books, which are also ways to signal their own position. By doing so, they include the art works and the artists’ texts in their methodological research about their own functions and assignments, rather persistent in their publications. Thus, in its criticism declination, the informational system is also about developing the representation of a kind of mastery whose authority differ from the dominant one in contemporary art criticism. Celant intends to oppose the trope of the « critic as hero » to the trope of the « militant critic », embodied by Carlo Argan ; and Lucy Lippard confronts the Clement Greenberg’s project of adapting criticism to the methodology of art history.Concomitantly, the informational system has to face a second paradox, related to the difficulty of articulating the defense of a self-referential art with political ambitions enlarged to society. The debates that surrounded documenta 5 in 1972 are significant of these tensions. This paradox is solved by various ways, between drop out and strengthened practices of document. Carla Lonzi quits art criticsm in 1970 in order to pursue a feminist activism, and Seth Siegelaub retreats from the art world during twenty years from 1972 in order to continue his research in other fields. On the opposite, Lucy Lippard keeps on thinking her practice through document, by thinking the political strenght of art in terms of « archival activism ». Those contradictions, deeply related to the principles of the informational system, have been avoided by Lawrence Alloway. His criticism is shaped with information and communication theories in order to rethink his role according to non-authoritarian criteria. His political aims are indeniable, and he is far from silent regarding the art world and its apparatus. But Alloway does not think his role as an observer or a loyal accomplice. He defends his position as the one of an « art user ».