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“Le retour du dernier des exilés” : usages politiques et mémoriels du Guernica de Picasso dans l’Espagne démocratique

Intervention de :

Journée d'étude : L’exil républicain espagnol : « stratégies d’effacement », transmission et récupération des mémoires

Date : 7 janvier 2026

Lieu : Arras. Université d'Artois, Maison de la Recherche, salle des colloques, France

Organisation : Mélanie Trédez-Lopez (Université d'Artois, CoTraLIS)


Présentation de l'intervention

Dans le cadre de cette journée d’étude sur l’exil républicain espagnol, notre communication propose d’interroger comment le transfert du Guernica de Pablo Picasso et son intégration au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía ont transformé, dans l’Espagne démocratique, un symbole de l’exil républicain en outil de mémoire nationale. Œuvre de propagande antifasciste, née de la guerre civile espagnole et produite pour l’Exposition internationale de Paris de 1937, le Guernica a très tôt acquis le statut d’emblème universel de la lutte contre la barbarie et de la cause républicaine. Mis à disposition des puissances alliées pour soutenir les réfugiés espagnols, il fut ensuite conservé pendant plus de quarante ans au Museum of Modern Art de New York, devenant, au fil de cet exil forcé, un symbole diasporique de la mémoire républicaine. Son retour en Espagne en 1981, au Casón del Buen Retiro, sous le dernier gouvernement de l’UCD, fut présenté comme le « retour du dernier des exilés » et marqua symboliquement la clôture du processus de Transition démocratique. Le transfert définitif de l’œuvre au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía en 1992 confirma son intégration au patrimoine national espagnol et ouvrit une nouvelle phase de son instrumentalisation politique et mémorielle.

Notre étude se concentrera sur la période 2008–2023, correspondant à la direction de Manuel Borja-Villel, au cours de laquelle le Musée Reina Sofía a entrepris une politique inédite d’historicisation critique de sa collection permanente, issue de recherches menées le plus souvent dans le cadre d’expositions temporaires. Inspirée par le pluralisme agonistique développé par la philosophe Chantal Mouffe, cette politique conçoit le musée comme un  « musée-citoyen », selon l’expression de l’historien Dominique Poulot, c’est-à-dire un espace de dissensus démocratique entre une mémoire officielle et des mémoires dissidentes, voire antagonistes. Dans ce cadre, le Guernica devient le pivot d’une relecture démocratique des récits de la guerre civile et de l’exil républicain, réinvesti dans un discours de mémoire critique au cœur des débats contemporains sur les lois mémorielles (2007, 2022). L’analyse des dispositifs curatoriaux, narratifs et discursifs élaborés autour de l’œuvre sous le mandat de Borja-Villel, entend montrer comment le Reina Sofía, en réinscrivant le Guernica dans un horizon d’engagement civique, a transformé une œuvre de l’exil en matrice visuelle et politique de la mémoire démocratique espagnole contemporaine. Cette analyse entend par là-même étudier la manière dont l’État espagnol, par l’intermédiaire de l’instance muséale, investit aujourd’hui les questions mémorielles et plus généralement, « l’histoire publique », c’est-à-dire le champ des pratiques contemporaines de médiatisation (mises en récit) et de médiation (mise en public) du passé lié à la guerre civile et à l’exil, notamment dans un contexte généralisé de montée de l’extrême droite et de propagation de contre-histoires.


Plus d'informations : https://evenements.univ-artois.fr/e/1346/journee-detudes-lexil-republicain-espagnol-entre-strategies-deffacement-et-transmission-des-memoires