Marine Gaillard
Le droit en mouvement : archives du silence, voix féminines et recomposition du droit entre deux souverainetés (Couronne d’Aragon et comté de Toulouse, XIIIe siècle)
Thèse de Doctorat en Histoire
Sous la direction de Laure Verdon et de Martine CHARAGEAT (Casa de VELÁZQUEZ)
Contrat AMU-Casa de Velázquez
Mots clés : histoire du droit, histoire du genre, archives du silence, XIIIe siècle, Couronne d'Aragon, Comté de Toulouse
Résumé :
Au XIIIe siècle, les territoires entre le comté de Toulouse et la Couronne d’Aragon apparaissent fragmentés sur le plan politique. Pourtant, au-delà de cette discontinuité apparente, se dessinent des dynamiques transversales : circulations juridiques, zones de contact et échanges normatifs structurent ces espaces au-delà des découpages territoriaux. C’est dans cette logique d’influence juridique que s’inscrit ce travail de recherche. Ces territoires transpyrénéens sont engagés au XIIIe siècle dans un processus d’unification et de formalisation du droit par l’écrit. Dans les deux espaces, la mise par écrit du droit accompagne un effort de structuration territoriale : en Aragon par la compilation normative, en Languedoc par l’affirmation des juridictions urbaines et l’ancrage du droit dans les communautés locales. Ce contexte de production juridique constitue un cadre propice pour interroger la manière dont le droit encadre les rapports de genre. En définissant qui peut parler, être entendu ou transmettre une norme selon le genre, ce cadre juridique participe ainsi à la construction d’un régime de genre. Cela conduit à interroger les mécanismes d’invisibilisation du féminin à l’œuvre dans la mise par écrit du droit, au moment où celui-ci se codifie, se territorialise et s’institutionnalise. Cette invisibilisation ne reflète pas une réalité sociale : elle émane d’une fabrique masculine du droit qui sélectionne, hiérarchise et légitime les acteurs selon le genre. Mettre en lumière les usages concrets du droit permet alors de confronter cette construction discursive à la réalité des pratiques et de restituer les formes de la présence et de l’intervention des femmes dans les usages concrets du droit. Les femmes ne sont pas absentes des espaces judiciaires : elles y interviennent, portent plainte, négocient, témoignent. À partir des sources judiciaires, il devient possible de reconstituer les conditions de leur prise de parole, de leur présence ainsi que les stratégies qu’elles mobilisent et les marges d’action dont elles disposent. Mais c’est aussi en dehors des tribunaux que se dessine une autre réalité normative, informelle, mais tout aussi opérante, qui conduit à interroger les marges du judiciaire, là où le droit se négocie au quotidien. Dans ces espaces extrajudiciaires, les femmes peuvent participer activement à la production des normes et à la régulation des conflits.
Keywords : history of law,gender history,archives of silence,13th century,crown of aragon,county of toulouse
Abstract :
Law in Motion: Archives of Silence, Female Voices, and the Recomposition of Law between Two Sovereignties (Crown of Aragon and County of Toulouse, 13th Century)
: In the 13th century, the territories between the County of Toulouse and the Crown of Aragon appear politically fragmented. Yet beyond this apparent discontinuity, transversal dynamics emerge: legal circulations, contact zones, and normative exchanges structure these spaces beyond territorial boundaries. It is within this logic of legal influence that this research is situated.
These trans-Pyrenean territories were engaged in the 13th century in a process of unifying and formalizing law through writing. In both regions, the written codification of law accompanied an effort to organize territorial authority: in Aragon through normative compilations, and in Languedoc through the rise of urban jurisdictions and the embedding of law within local communities.
This legal production context provides a fertile framework to explore how law shapes gender relations. By defining who can speak, be heard, or transmit a norm according to gender, this legal framework contributes to the construction of a gender regime.
This leads to an examination of the mechanisms that render women invisible in the written law, at the very moment when law is codified, territorialized, and institutionalized. This invisibility does not reflect social reality; rather, it stems from a masculine construction of law that selects, hierarchizes, and legitimizes actors based on gender.
Highlighting the concrete uses of law thus allows us to confront this discursive construction with the reality of practices, and to recover the ways in which women are present and intervene in the everyday use of law. Women are not absent from judicial spaces: they act there, file complaints, negotiate, and testify. Based on judicial sources, it becomes possible to reconstruct the conditions of their speech and presence, as well as the strategies they employ and the margins of action available to them.
But it is also outside the courts that another normative reality unfolds, informal but no less effective, prompting us to explore the margins of the judiciary, where law is negotiated daily. In these extrajudicial spaces, women can actively participate in norm production and conflict regulation.