Aller au contenu
Accueil > Qu’est-ce qu’une martyre révolutionnaire? États italiens et Espagne, années 1800-années 1840

Qu’est-ce qu’une martyre révolutionnaire? États italiens et Espagne, années 1800-années 1840

Intervention de :

Workshop : Avant le droit de vote : femmes, politique et société en Europe 1789-1850

Date : 15 septembre 2022

Lieu : École Normale Supérieure de Lyon, France

Organisation : Mark Philp, Anne Verjus


Présentation de l'intervention

Ce projet de communication se propose de saisir les politisations du premier xixe siècle au travers des archétypes construits par les acteurs, en interrogeant la notion de martyre politique féminin, en se centrant sur les sociétés catholiques d’Europe méridionale. La Révolution française et ses prolongements européens ont en effet construit un univers moral et culturel nouveau, compatible avec les logiques sécularisatrices à l’œuvre depuis les dernières décennies du xviiie siècle. Celui-ci consacre des figures de héros et de martyrs dotés d’une réputation de sacralité : employés de façon globalement indistincte, les deux termes désignent, par calque du martyre religieux, le fait de souffrir ou de mourir en témoignage d’un engagement politique.  La porosité des deux notions fait du combat pour une cause l’un des ressorts principaux du martyre, alors l’une des figures des masculinités catholiques, archétype genré que les cultures politiques libérales et démocratiques de la première moitié du xixe siècle mobilisent amplement et qui trouve son prolongement dans les figures civiques promues par les « nations catholiques » espagnoles et italiennes des années 1820 et 1830. Bien que le martyre révolutionnaire tende à se détacher progressivement des seules figures de grands hommes pour s’appliquer à un nombre croissant d’acteurs, cette qualité demeure principalement attribuée à des acteurs masculins. Au milieu du xixe siècle, ils se construisent encore largement autour du dévouement à la collectivité et de l’acte surérogatoire qui fait l’exceptionnalité des acteurs concernés.

Cette tendance majoritaire mais non exclusive pose la question du genre des panthéons de martyrs que construisent les partisans des révolutions. Aux côtés des hommes révolutionnaires érigés en martyrs, amplement majoritaires, apparaissent des figures de femmes partisanes des révolutions, dont la place est certes numériquement restreinte mais néanmoins significative. En prenant appui sur quelques cas bien documentés, à la fois parce qu’ils sont évoqués dans des témoignages publiés et parce qu’ils ont donné lieu à des célébrations publiques, officielles ou non, il s’agit d’interroger la spécificité d’un martyre révolutionnaire féminin qui se constituerait parallèlement au martyrologe majoritaire. Des figures issues de la guerre d’indépendance espagnole (1808-1814), comme Agustina de Aragón et Manuela Malasaña, ou des révolutions sud-européennes des années 1820 et 1830 – Teresa Casati, Milanaise morte en 1830, Mariana Pineda, exécutée publiquement à Grenade en 1831 – constitueront le point de départ de cette étude. À travers ces quelques cas, évidemment loin d’être exclusifs, il s’agit d’interroger les représentations et les reconstructions de l’exemplarité féminine en révolution. Leur qualification en tant que martyres politiques est à la fois révélatrice des régimes émotionnels à l’œuvre, de la labilité du concept de martyr et de la démocratisation croissante de la mort publique, qui s’accélère principalement dans le deuxième tiers du xixe siècle.