Appel à communications
Colloque international et interdisciplinaire
9 et 10 Novembre 2023
Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Aix-en-Provence (France)
Cadavres et pauvreté
Dénuement, précarité économique et pratiques funéraires de l’Antiquité à nos jours
Organisé par Elisabeth Anstett (CNRS) et Anne Carol (Aix-Marseille Université) en prolongement du séminaire inter-laboratoire ADES -TELEMMe (Aix-Marseille Université) Histoire et anthropologie de la mort.
Comité scientifique composé de Bruno Bertherat (historien, Université d’Avignon), Gaëlle Clavandier (anthropologue et sociologue, Université de Saint-Etienne), Pascale Trompette (sociologue, CNRS), Anne Richier (archéologue, INRAP) et Valérie Souffron (sociologue, Université de Paris I).
L’entrée par l’objet cadavre, qu’il s’agisse d’étudier le statut qui lui est assigné ou les traitements matériels et symboliques dont il fait l’objet, a permis depuis une vingtaine d’années un renouvellement considérable des recherches conduites sur la mort et les morts dans le champ des sciences humaines et sociales, que ce soit en anthropologie, en archéologie, en sciences politiques, en droit, en histoire, en sociologie ou en urbanisme par exemple.
Des études ont ainsi porté sur les effets de l’âge au décès sur les pratiques funéraires, en abordant notamment la question du statut juridique et du traitement accordé aux fœtus ou aux dépouilles des enfants en bas âge ou nés sans vie. D’autres études se sont attachées aux enjeux -notamment religieux et politiques- qui sous-tendent les pratiques de sacralisation ou de dégradation des dépouilles mortelles. D’autres encore ont été consacrées aux effets de diverses crises de mortalité (liées aux épidémies, aux catastrophes, aux guerres ou aux violences de masse) sur le traitement des corps morts. Pourtant, si la question des aspects et des enjeux proprement économiques de la prise en charge des dépouilles transparaît dans nombre de ces travaux, elle n’a que rarement fait l’objet d’un intérêt exclusif.
L’objectif du colloque « Cadavres et pauvreté » est précisément d’aborder la question du traitement mortuaire et funéraire du cadavre sous l’angle social et économique, en invitant à réfléchir sur ce que l’absence ou la limitation de ressources matérielles, monétaires ou financières détermine (ou pas) de ce traitement.
Ainsi, de même qu’il s’agira de documenter et d’analyser les modalités de traitement des dépouilles de défunts dont les proches ou les groupes d’appartenance se trouvent dans l’impossibilité financière d’en assurer une prise en charge ordinaire, il s’agira également d’approcher une définition de l’exclusion sociale ou économique par l’angle des pratiques mortuaires et funéraires, de leur absence ou de leurs inflexions éventuelles, et de ce que ces aménagement disent (ou participent à construire) du statut social ou de l’identité du défunt.
Plusieurs questionnements peuvent dès lors être envisagés.
Lorsque les individus ou les groupes (familiaux, professionnels, communautaires, confessionnels) sont financièrement et/ou matériellement démunis, quels sont alors les acteurs (institutions publiques ou privées, associations, parentèles, etc.) ou les relais de la prise en charge mortuaire et funéraire des défunts ? Quelles sont les logiques propres à chacun de ces acteurs, et leurs conséquences sur le traitement des cadavres ? En effet, nous savons que le fait de pourvoir aux funérailles des indigents a représenté l’une des missions assumées par les nombreuses confréries en Europe depuis le Moyen Âge, et que la prise en charge de la dépouille de personnes démunies mortes en migration fait de nos jours encore l’objet de solidarités communautaires dont le pivot est souvent de nature religieuse. Mais ces situations sont-elles anticipées à l’échelle individuelle ou collective, ou bien font-elles l’objet d’aménagements circonstanciels ?
Existe-t-il des situations de concurrence, voire de litige, le cadavre étant alors disputé ou différents traitements successifs lui étant imposés ? Des études ont en effet montré que les dépouilles de ceux dont les funérailles ne pouvaient être financées, ont fait l’objet d’une appropriation parfois massive dans le cadre de l’avènement de la médecine moderne occidentale. Cette appropriation qui les détournait du processus funéraire ordinaire -et qui impactait aussi le statut qui leur est assigné-, était toutefois combattue ou contrée par les familles ou des acteurs collectifs, tels que les sociétés de secours mutuels. Quelle place prennent les considérations économiques dans ces litiges et ces conflits d’appropriation des dépouilles ?
De façon plus structurelle, dans quels contextes et à quelles occasions les États ou les pouvoirs publics locaux ont-ils mis en place des dispositifs pérennes de protection ou d’assistance funéraire ? Quelles sont alors les modalités de traitement des dépouilles dont les funérailles ne peuvent être financées de façon ordinaire, et qu’ont-elles éventuellement de spécifique ? Ce traitement s’effectue-t-il selon des modalités simplement dégradées par rapport à ce qui serait une norme ou un idéal funéraire de leurs contemporains, ou bien implique-t-il une forme d’innovation ou de transgression ? On peut penser par exemple à la présence ou à l’absence de dépôts funéraires dans les tombes, ou aux différentes prestations offertes par les entrepreneurs funéraires (convois, cercueils, etc.), aux zones plus ou moins valorisées des cimetières, comme au recours à la crémation envisagé comme une option moins coûteuse. Ces modalités peuvent-elles aller jusqu’à être discriminantes, et le sont-elles dans tous les cas, comme invite y réfléchir le corbillard des pauvres qui transporta la dépouille de Victor Hugo ? Comment les prestataires de service du funéraire s’adaptent-ils en temps de crise économique au soudain et massif appauvrissement des populations ?
L’enjeu de la conservation du corps, et de la possibilité d’en faire un support pour le souvenir, est connu et bien documenté pour la période moderne et contemporaine. Or il oppose d’un côté des inhumations en fosses provisoires et/ou collectives, où les corps sont promis à court ou moyen terme à la destruction et à l’anonymat, et de l’autre des concessions pérennes, monumentalisées ou patrimonialisées telles que les nécropoles, ou les ossuaires nationaux tels que celui de Douaumont. Comment se joue là, la question de la mobilisation -ou de l’accès à- des ressources financières ?
Lorsque les défunts sont en situation de précarité économique et sociale, leurs dépouilles courent-elles plus de risques d’être déchettisées ou recyclées que les dépouilles protégées, voire sacralisées des populations plus nanties ? Dans quelles et à quelles conditions les cadavres deviennent-ils une ultime ressource ou faire l’objet d’un commerce, en tout ou en partie (cheveux, dents, graisse, etc.), à l’instar de celui pratiqué par les bodysnatchers dans le Royaume-Uni du XVIIIe et du début du XIXe siècles ?
Les lectures et les approches relevant de toutes les disciplines des sciences humaines ou sociales (archéologie, histoire, sciences politiques, sociologie, anthropologie sociale et biologique, droit, philosophie, psychologie, anthropologie biologique, démographie, économie, urbanisme, etc.) tout autant que des sciences économiques, couvrant toutes les périodes depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, et documentant ces questions seront les bienvenues.
Les propositions de communications sont à envoyer avant le 15 avril 2023 à elisabeth.anstett [at] gmail.com et anne.carol [at] orange.fr Elles mentionneront le nom, le statut et la discipline de rattachement du ou des auteur(s), un titre ainsi qu’un résumé d’une page minimum. Elles seront examinées par le Comité scientifique qui établira le programme définitif avant le 15 mai 2023.
Cette manifestation, soutenue par l’Observatoire des Pratiques Interdisciplinaires coordonné par la Mission Interdisciplinarité(s) d’AMU, bénéficie dans ce cadre d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir portant la référence ANR-20-IDES-0003